Le désert des Tartares (Dino Buzzati)

Eh bien, ça fait un bail que je n'avais pas ressenti un tel choc à la lecture d'un roman.

Tellement longtemps (il faudrait peut-être que je remonte à la lecture de Kafka, vers quatorze ans !) que je ne pensais pas que ça pouvait encore m'arriver ! Je croyais qu'on ne me la faisait plus, que j'étais blasé, que je pouvais certes encore admirer un style, me passionner pour une histoire, m'émouvoir du sort des personnages, mais pas qu'une histoire toute simple puisse me retourner au point de m'empêcher de dormir et de susciter en moi des interrogations sans fin.

Si le nom de Kafka m'est venu à l'esprit au moment de rédiger ce commentaire, ce n'est sans doute pas par hasard. Le Fort Bastiani (la garnison où Giovanni Drogo, fraîchement promu officier se fait affecter, qui garde la frontière du Nord, bordant le mystérieux Désert des Tartares) pourrait se voir comme une sorte de Château à l'envers, puisqu'il s'agit ici non pas d'accéder au château, mais de quitter le fort.

Ce livre n'a pas la lourdeur d'un roman symbolique. Il parle très simplement de la situation, de la vie du héros et de la succession de défaites et de résignations qui la constitue.
Il parle de l'inertie de l'habitude, des jours qui s'écoulent pareils pendant que le temps fuit, de portes qui se ferment, du mouvement d'éloignement, de la solitude.

En fait, je n'arrive pas à en parler. Cela peut sembler très sombre, mais cela peut se lire comme une sorte d'avertissement aussi. Quel est mon Fort Bastiani à moi, mon Désert des Tartares?

Un livre que j'ai peur de relire dans dix ans, pour constater que j'aurai suivi le même inéluctable chemin que Drogo.

Et pourtant, un reste d'enchantement errait le long des murailles des jaunes redoutes, un mystère persistait obstinément là-haut, dans les recoins des fossés, à l'ombre des casemates, l'inexprimable sentiment de choses à venir.